UrbanTwin: la durabilité en double
Plusieurs instituts de recherche suisses, dont l'EPFL, ont commencé à travailler sur le projet UrbanTwin, qui vise à développer un modèle durable, piloté par l'intelligence artificielle, des systèmes d’énergie, d’eau et de déchets de la ville d’Aigle. Le but: aider à l'implémentation de mesures durables efficaces.
La gémellité est un phénomène fascinant: des jumelles ou jumeaux identiques, même séparés à la naissance, peuvent se ressembler en termes d’apparence, de caractère, de capacités et de goûts personnels. Elle démontre le pouvoir de l’ADN à créer des résultats étonnamment prévisibles.
À travers le projet UrbanTwin, un consortium d’instituts de recherche suisses dirigé par l’EPFL, envisage de concevoir des jumeaux identiques d’un autre type, en utilisant des réseaux neuronaux au lieu de l’ADN pour créer le «jumeau» d’une ville suisse. La ville d’Aigle a été choisie en raison de sa taille et de ses nombreuses sources d’eau.
UrbanTwin fait partie des dix initiatives conjointes financées au niveau national dans les domaines stratégiques de l’énergie, du climat et de la durabilité environnementale, et vise à développer et à valider un outil global pour aider les décisionnaires à atteindre les objectifs environnementaux tels que la Stratégie énergétique 2050 et l’approche de “ville éponge” adaptée aux aléas climatiques. Cet outil reposera sur un modèle détaillé d’infrastructures urbaines critiques telles que l’énergie, l’eau, les bâtiments et la mobilité. Il simulera avec précision l’évolution de ces infrastructures interconnectées dans le cadre de divers scénarios climatiques et évaluera l’efficacité des actions liées au changement climatique.
«Nous voulons intégrer des informations provenant de différentes sources», explique Jan Kerschgens, directeur exécutif du Centre pour les systèmes intelligents (CIS) de l’EPFL. Ce centre intègre la recherche en intelligence artificielle (IA), en apprentissage machine (ML) et en robotique afin d’encourager les recherches aboutissant au développement de systèmes intelligents. «Nous disposerons de capteurs de pointe, de la climatologie et de calculs algorithmiques, dans un seul et même ensemble d’outils – un jumeau numérique. Le résultat devrait être un produit qui permettra aux législateurs de prendre des décisions en toute connaissance de cause», poursuit-il.
UrbanTwin sera un exemple avant-gardiste de ce que l’intelligence artificielle peut accomplir à l’ère moderne. Ce modèle vivant tirera les leçons de ses propres performances et se développera au fil du temps. «Nous espérons qu’il permettra d’optimiser les ressources existantes, en observant l’impact climatique et en suggérant l’attitude à adopter face à ces changements», continue Jan Kerschgens. «Nous allons développer un système de recommandations basé sur des étiquettes pour permettre la mise au point d’un système très complexe.»
«Le projet a été élaboré avant la crise énergétique, mais aujourd’hui il est plus important que jamais. Ce serait formidable de développer un outil facilement transposable afin de pouvoir appliquer cette technologie à n’importe quelle zone urbaine en Suisse», ajoute-t-il.
Le transfert de technologies est un thème récurrent, la collaboration interinstitutionnelle en est un autre. Cinq institutions participent à ce projet: l’EPFL, l’ETHZ, le WSL (Institut fédéral suisse de recherches sur la forêt, la neige et le paysage), l’EMPA (Laboratoire fédéral suisse d’essai des matériaux et de recherche) et l’EAWAG (Institut fédéral suisse des sciences et technologies aquatiques).
Killian Wasmer de l’EMPA s’est penché sur le traitement avancé des matériaux, mais le travail de plus en plus transdisciplinaire est devenu une réalité. «Mon équipe s’est entourée de spécialistes de l’apprentissage machine et d'experts en capteurs, car nous devons contrôler notre utilisation de ressources comme l’énergie et l’eau à l’aide de données déjà disponibles.»
Passer du traitement des matériaux aux jumeaux numériques peut sembler un grand saut, mais c’est là que le transfert de technologies intervient. «Prenez un ensemble d’outils utilisés pour la surveillance d’un processus de fabrication en 3D. Il est étonnant de voir à quel point il est facile de les adapter et de les utiliser pour la gestion de l’eau d’une ville. Les données d’entrée sont différentes, mais l’ensemble des outils peut être utilisé de la même manière», explique Killian Wasmer.
Le système de surveillance de l’eau comprendra la sélection de la meilleure source d’approvisionnement en eau douce, la mesure de sa qualité ainsi que la modélisation de l’évacuation des eaux usées. Il comprendra également un travail de détection, avec un système capable de repérer les sources de pollution le plus rapidement possible et d’envoyer des alertes avec l’origine localisée et signalée.
Giulio Masinelli, doctorant sous la supervision conjointe de Killian Wasmer et de David Atienza de l’EPFL, travaille sur une approche similaire pour la fabrication avancée. «Nous pouvons produire des données en installant des capteurs sur les éviers mesurant la qualité de l’eau dans la ville, le niveau de pH, la concentration de sel et d’autres paramètres», explique-t-il. Nous utiliserons l’apprentissage machine pour recueillir des observations, puis faire des prédictions – avec des contraintes physiques. Ce sont ces contraintes qui rendent une simulation efficace, car elle devient un modèle flexible comportant une multitude de paramètres.»
«De nombreux travaux sont consacrés à l’application d’équations différentielles partielles aux données afin que le système puisse être généralisé sans que les contraintes physiques et les données non familières n’entraînent une baisse de qualité. Le résultat est un réseau neuronal qui peut produire des résultats en quelques millisecondes. Les paramètres peuvent ensuite être affinés afin qu’ils fonctionnent avec toutes les données. Il ne faut pas rester trop proche d’un seul ensemble de données si l’on veut obtenir de bonnes prédictions», poursuit-il.
Titulaire d’un doctorat et d’une bourse de recherche en Australie, Peter Bach (EAWAG) a travaillé sur la modélisation de systèmes d’eau entiers, en particulier sur les solutions naturelles émergentes pour rendre les systèmes plus durables et circulaires. «Nous avons développé des systèmes d’aide à la planification dans lesquels les utilisatrices et utilisateurs peuvent intégrer une variété de données différentes afin d’explorer des solutions innovantes et durables pour leurs villes. En fait, nous pouvons apprendre beaucoup de l’industrie du jeu en matière d’interfaces graphiques et de gestion des informations et du matériel. Cela nous permet de créer de meilleurs outils qui peuvent soutenir de manière interactive un groupe diversifié de décisionnaires.»
UrbanTwin représente une excellente opportunité pour ces chercheuses et chercheurs de collaborer avec des équipes différentes à une époque difficile pour les scientifiques suisses. Avec l'exclusion de la Suisse du programme Horizon Europe, le financement national est la seule option actuelle. Killian Wasmer a bon espoir que ce projet améliore la situation à son échelle: «Si nous pouvons améliorer la façon dont les administrateurs municipaux gèrent leurs ressources et augmenter les niveaux d’efficacité, ce serait un grand pas en avant.»
Aujourd’hui, nous utilisons de plus en plus souvent l’intelligence artificielle dans la recherche, comme en témoigne l’initiative AI4Science menée pour l’EPFL par le CIS. Pour Jan Kerschgens, «l’intelligence artificielle, telle qu’elle sera mise en œuvre via UrbanTwin, promet de fournir un excellent outil pour aider les décideurs, en recherchant dans de vastes réserves de données pour trouver des anomalies ou aider à émettre des recommandations. UrbanTwin sera un système holistique d’intelligence artificielle et l'on s’attend à des résultats inattendus.»
Communiqué de l'EPFL, John Maxwell, Tanya Petersen